L’INSEA et les Expositions de dessins d’enfants
Ana Mae Barbosa
J’ai découvert l’INSEA en même temps que je découvrais l’Enseignement Artistique.
J’avais 18 ans (1954) lorsque j’étudiais à Pernambuco avec Paulo Freire et Noemia Varela qui fondèrent l’Escolinha de Arte de Recife, qui fait partie du Mouvement des Escolinhas d’Art et comptait 144 unités, une au Paraguay, deux en Argentine et une au Portugal.
J’étais étudiante en droit. J’ai terminé mes études mais je travaillais déjà avec Noemia Varela dans son école non formelle qui avait pour président Paulo Freire. Les deux ont été mes tuteurs toute au long de ma vie. Noemia Varela et Augusto Rodrigues connaissaient l’INSEA depuis sa création.
Mon entrée en action à l’INSEA a eu lieu lors du congrès de 1970 à Coventry, en Angleterre, organisé par Eleanor Hipwell1, l’une des meilleures amies que j’avais. Après cela, ma prochaine expérience à l’INSEA s’est déroulée en ex-Yougoslavie, à Zagreb, en Croatie.
A cette époque, je vivais déjà à São Paulo. J’ai quitté Recife pour des raisons politiques. Nous étions encore à l’époque de la dictature militaire lorsqu’il m’était possible de faire mon master aux États-Unis, sans bourse, car le Ministère de l’Éducation et de la Culture ne reconnaissait pas l’éducation artistique comme domaine de recherche, j’ai profité de la bourse de mon mari, chercheur en littérature. À l’Université de Yale, ils m’ont invitée à donner une discipline en portugais, sur la culture brésilienne. Avec l’argent, j’ai payé mon master en éducation artistique au Southern College State College, en tant que résident à New Haven. Pendant le cours, j’ai présenté un article sur l’éducation artistique au Brésil qui a été bien accueilli. Stimulée par les enseignants et même par le directeur du SCSC, j’ai présenté mon travail de communication au Congrès de Zagreb.
J’ai été très bien traitée par le président Prof. Rocca, un gentleman et le seul latino-américain présent au Congrès,
A partir de là j’ai suivi régulièrement l’INSEA jusqu’à la fin du 20ème siècle.
Pour un problème personnel, je n’ai pas participé au Congrès de 1975 à Sèvres mais j’ai fait une large publicité qui a abouti à la participation de nombreux professeurs d’art du Brésil. Ma meilleure élève à l’époque, devenue ma meilleure amie et ma collaboratrice la plus fréquente, Regina Machado a présenté un article.
Certains enseignants de divers États du Brésil, à leur retour, ont dû changer de vol à São Paulo et ont profité de l’occasion pour me rendre visite et parler généreusement du Congrès. Ils ont tellement loué la réceptivité d’Aimée Humbert que j’ai ensuite tenté de me rapprocher d’elle, source inépuisable d’apprentissage.
L’INSEA a été pour moi une université de formation continue et une source de renforcement de l’ego féministe avec des présidentes incroyables au XXe siècle, comme celles précitées Aimée Humbert, Eleanor Hipwell, Marie-Françoise Chavanne, Kit Grauer qui m’ont beaucoup influencée. Je ne suis pas restée très active à l’INSEA au XXIe siècle, j’ai plutôt essayé de donner la priorité aux études sur l’Amérique latine et l’Afrique, mais j’ai suivi le travail participatif des présidents, notamment Teresa Eça qui a intensifié les contacts avec l’Afrique et Ann Kuo qui a fait connaître les interrelations art/éducation dans certains pays asiatiques. J’ai aussi beaucoup appris d’Elliot Eisner. Pour moi, il était une véritable école de politique internationale et un partisan théorique.
Grâce à l’INSEA, Rita Irwin et Doug Bougton ont donné des cours importants au Brésil.
Ce travail de collecte et de publication de dessins d’enfants exposés au Congrès mondial de l’INSEA de 1975 à Sèvres, en France, que nous présentent Marie-Françoise Chavanne et Glen Couts, est très important pour renforcer l’importance du sens contemporain de l’internationalisation que l’INSEA promeut historiquement et aussi pour convaincre les pays de reconnaître l’importance des arts dans l’éducation.
Il n’y a rien de plus convaincant du pouvoir de l’art pour le développement des enfants que de voir les images qu’ils produisent. Au début du modernisme, le dessin d’enfant avait une valeur intrinsèque pour célébrer la valeur de l’expression, libre des contraintes sociales et des dogmes esthétiques.
Les expositions et les collections d’art pour enfants étaient des arguments qui contribuaient à faire comprendre et accepter au public l’art construit « spontanément » des artistes expressionnistes.
Par conséquent, les expositions et les collections d’art pour enfants étaient des tremplins pour l’acceptation de l’expressionnisme dans l’art et dans la pédagogie du modernisme centrée sur l’enfant.
En 1928, en pleine réforme éducative menée par Fernando de Azevedo, une exposition d’art pour enfants enthousiasma Rio de Janeiro : celle d’enfants japonais. Cela a donné lieu à plusieurs articles et à de nombreuses annonces dans les journaux. L’exposition était accompagnée d’une lettre d’enfants japonais publiée dans tous les journaux, comme un message de paix et d’amitié, une facette d’optimisme très courante entre les deux guerres mondiales, période d’effervescence culturelle en Occident.
En fait, l’échange de dessins était un marketing d’entreprise, soutenu par des associations éducatives. La capacité des enfants à révéler leur culture a impressionné les journalistes, les artistes et les enseignants.
Bien plus importante fut l’exposition de dessins d’enfants organisée par Sir Herbert Read et qui se tint à Rio de Janeiro, São Paulo et Belo Horizonte, du 11 octobre 1941 à janvier 1942, en pleine guerre. Ce fut une source d’inspiration pour des artistes tels qu’Augusto Rodrigues, Margaret Spencer, Alcides da Rocha Miranda, Clóvis Graciano et d’autres qui se sont enthousiasmés à l’idée de créer l’Escolinha de Arte do Brasil, sept ans plus tard, en 1948.
On en parle beaucoup, mais on connait peu de chose de cette exposition. Malheureusement, le catalogue contient peu d’images. J’ai obtenu quelques images imprimées dans les journaux des archives de Marian Richardson, avec une définition et une visibilité médiocres, mais j’ai trouvé un rapport minutieux au British Council rédigé par M. Church responsable de l’exposition au Brésil. Selon lui, « […] l’exposition était la meilleure publicité qui puisse exister, sans exclure la mode britannique, beaucoup plus chère, qui a également été envoyée au Brésil *».
Sur la base du contenu du rapport, on peut conclure que l’exposition a eu plus de succès à São Paulo qu’à Rio et Belo Horizonte, mais historiquement, la version la plus connue de l’exposition a été celle de Rio de Janeiro, grâce aux constantes références qui y sont faites au fil des années par Augusto Rodrigues et le Movimento Escolinhas de Arte.
À São Paulo, l’exposition a accueilli 26 010 visiteurs en 15 jours, soit une moyenne de 1 734 par jour. Elle a été prolongée de cinq jours supplémentaires et, pendant ces jours supplémentaires, elle a accueilli 9 356 visiteurs. Du point de vue de la répercussion dans les journaux également, l’exposition de São Paulo a été plus importante. Nous pouvons énumérer 12 résumés d’articles inclus dans le rapport : en plus d’une large diffusion de conférences données par d’importants éducateurs du pays.
Montrer le travail des enfants est le meilleur moyen de convaincre les pouvoirs publics de l’importance de l’art dans l’éducation. Je salue le travail minutieux de Marie-Françoise Chavanne, qui viendra renforcer l’importance de l’Histoire de l’INSEA et l’importance des expositions d’Art pour enfants, pour décrypter différentes cultures. Un grand merci à Marie-Françoise Chavanne pour avoir honoré notre défunte chef, la chère Aimée Humbert.
Ana Mae Barbosa
*BRITISH Council. Report on the British Council Exhibitions of Children’s Drawings. Document 984/1. England: 1941/1942b. s/p.in BARBOSA, Ana Mae. Redesigning Drawing. São Paulo: Cortez Publisher, 2015. Pag309-352
BARBOSA, Ana Mae, Eleanor Hipwell, pioneirismo internacional em Arte/Educação in BARBOSA, Ana Mae and AMARAL, Vitoria. Mulheres não devem ficar em silencio: Arte, Design, Educação. SP: Editora Cortez, 2019, pag 179 a 209.